petits périples

Hélène Raymond


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2016 en images

Que 2017 vous comble. De toutes les manières.

Pour marquer le passage, quelques photos, parmi les milliers prises tout au long de l’année qui s’achève. Le pain, le jardin, les découvertes y sont omniprésents. Pour mes lecteurs à l’étranger, les images reflètent, en partie, les quatre saisons du Québec. Cet hiver de neige qui nous fait chauffer fours et fournaises; ce printemps explosif qui fait couler les érables à sucre pour produire notre sirop  national et qui marque le redémarrage du travail dans les potagers et les champs. L’été, lui, pousse les températures à d’autres extrêmes pour nous donner ces légumes qui raffolent de la chaleur: tomates, poivrons, aubergines, pour ne nommer que ceux-là.  L’automne se colore de teintes de rouge et d’orangé,  dans le feuillage comme dans les champs de citrouille et de fleurs de tournesol.

Janvier

Un instantané de quelques grains, avant de commencer une panification. Faire du pain libère l’esprit,  rythme la vie de la maison, éveille l’odorat, stimule le regard. Le pétrir est sensuel et au sortir du four, il chante! Reste à se régaler…

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img_1526Février

Un citron Meyer. Facile à cultiver, amusant surtout. En plein hiver, ce sont autant de petits soleils accrochés au plant de mon bureau. C’est aussi le temps de la marmelade.

 

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Mars

Les fêtes des semences sont commencées et avec elles, le retour du jardinage, des récoltes et de la transformation des légumes…

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Avril

Une bière sur la terrasse de la microbrasserie Tête d’allumette à Saint-André-de-Kamouraska. Au loin, la neige, le Saint-Laurent et ce soleil qui gagne de la force.

img_2825 Mai

Le «dépaillage» des plants de fraises, chez Demers, à Saint-Nicolas près de Québec. Le printemps s’est pointé.

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Juin

Dès les premiers jours du mois, le croquant des salades. Avec celles de la fin de l’été, ce sont les meilleures… nous tentons de récolter de plus en plus tôt.

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Juillet

Le bol de petits fruits cueillis le matin et quelques cerises Montmorency qui, dénoyautées une à une et plongées dans un sirop léger vont faire rougir l’hiver. img_5020

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Août

Tous les prétextes sont bons pour un pique-nique. Ici, au sommet du Mont Cadillac, dans l’état du Maine. Sur l’image, des tomates de variétés anciennes achetées dans un marché fermier local, le sel des Pèlerins (du Kamouraska) et la salsa de la Mine de Ketchup, un projet d’économie sociale de Saint-Antoine-de-Padoue, en Gaspésie.

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img_4776 Septembre

Chaque matin (ou presque), une courte visite au potager  permet de remplir le panier. Nous cultivons, sur  une petite surface, la plus grande variété possible.

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Octobre

Une montagne de champignons à déshydrater. Un cadeau! On dirait de la dentelle…

img_6682Novembre

Giardiniera (légumes croquants à l’italienne), avec les derniers légumes de l’automne trouvés au marché et quelques poivrons d’une serre des environs. Recette puisée dans le livre Preserving Italy de Domenica Marchetti. Une des belles parutions de 2016.

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Décembre

Nos piments ont séché tout l’automne jusqu’à devenir craquants et assez fins pour laisser passer la lumière. Broyés, je les mêle au sel de Maldon. Le jardin se prolonge dans plusieurs plats, toute l’année.

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Et ça repart bientôt…avec les pique-niques d’hiver, le cycle des conserves, les projets, les plans, les plants, le quotidien coloré et assaisonné par la nature environnante. Bonne année 2017!


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Slow Food/Terra Madre ou comment tisser des fils tout autour de la Terre

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Le moment du bilan. Il est  4 heures 30 à Turin. Arrivée avant les militaires qui surveillent tout mouvement suspect dans l’aéroport, j’ai du temps, espérant pouvoir me concentrer malgré cette musique d’ambiance venue de partout et de nulle part qui brise le silence de la nuit. Je continuerai d’écrire au fil des escales de cette longue journée.

Pourquoi être revenue vers cette manifestation? Pourquoi, depuis 2006, retrouver le Piémont et observer cette migration de cinq jours qui a autant d’impact pour ces milliers de délégués qui retournent à leur point d’origine à la fin?

À ma première visite, je suivais Petrini et Slow Food depuis un bon moment. Grâce à D’un soleil à l’autre, nous avions pu nous entretenir avec lui à quelques reprises. Cette résistance au « Fast food » marquait l’imaginaire; sa formidable capacité de mobiliser autour d’un discours rassembleur distinguait déjà son organisation, tout comme ce sens aigu de la communication et de l’image.

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Mais Slow Food poussait plus loin en ramenant les paysans, les petits, les oubliés du grand système au coeur de ses actions. En clamant ces trois mots, toujours actuels: BON, PROPRE, JUSTE pour rappeler l’importance de la qualité, le respect de l’environnement et l’équité.

imageÀ Terra Madre, ces gens gagnent de l’assurance. Leurs gestes prennent enfin toute l’importance qu’ils méritent. Ils sont beaux.

Et ils font plus que protéger une variété végétale, une race abandonnée au profit du profit, ils se mettent à en raconter l’histoire pour mettre en lumière ceux et celles qui continuent de leur donner vie au quotidien, en la vivant en marge des modes.

C’est une des forces de Terra Madre : avoir su se mettre à l’abri de cette « tendance foodie ». Les aliments raffinés  se concentrent dans les allées du Salone del Gusto, la manifestation commerciale qui se déroule en parallèle et qui attire des milliers de clients qui repartent chargés de victuailles. Les kiosques consacrés aux délégations venues du monde entier (Terra Madre) sont tout aussi courus. On y fait moins de provisions mais on multiplie les trouvailles: raisins afghans, morue norvégienne, fromages au lait cru irlandais… Dans les allées marchandes : le meilleur de l’Italie. Dans les allées parlantes : des kiosques nationaux animés par celles et ceux  qui, mandatés par leur organisation, viennent rencontrer leur pairs.

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Cette édition 2016 s’est déployée au coeur de Turin. La ville a ouvert ses palais, ses châteaux, ses rues. Imaginez-nous envahir Québec,  du Bois de Coulonge à la Terrasse Dufferin, en passant par les Plaines d’Abraham, la cour du Séminaire, le parc Cavalier du Moulin pour aller à pied, d’un endroit à un autre vivre des expériences nourrissantes et inspirantes.

Et puisqu’il est question d’inspiration, quelques pistes.

 

Accueillir

Loger milliers de délégués (environ 7 000) représente une logistique exceptionnelle. Une cafétéria leur est réservée sur le site. 60 communes du Piémont se mobilisent pour les héberger dans les familles. Ils dorment « chez l’habitant » et sont transportés, matin et soir. Pour Slow Food, c’est aussi une façon d’ouvrir la région aux réalités du monde.

Nourrir

Terra Madre a installé cette année des « cuisines du monde » au travers de ses kiosques. Chaque continent avait la sienne où se succédaient des chefs qui, chaque jour, venaient proposer un plat représentant leur pays. Une brigade métissée en cuisine, pas de stars de la gastronomie aux commandes , plutôt des gens associés au mouvement dont plusieurs femmes, qui agissent au quotidien sur leur territoire.

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Inclure

L’idée de faire se côtoyer producteurs et co-producteurs (Slow Food ne parle jamais de consommateurs) est un des ancrages de Slow Food. Une même démarche, des valeurs communes, la mise en valeur de la diversité. Lors de son allocution d’ouverture, Carlo Petrini a fortement suggéré aux jeunes de prendre leur place (ils sont nombreux), à condition de protéger l’espace de ceux qui les ont précédés et de savoir tirer des leçons de l’expérience.

Penser

Aux forums destinés aux délégués pour qu’ils puissent entendre des histoires du bout du monde qui s’apparentent à leur propre expérience, Terra Madre suggère également des entretiens plus formels. Cette année, dans le magnifique Teatro Carignano, se sont succédées des sommités pour animer cet espace magnifique dans leur langue d’origine, rendue compréhensible grâce aux interprètes.
C’est ainsi que j’ai pu saluer José Bové et Michel Bras le matin, entrevoir Yann Arthus-Bertrand un peu plus tard et croiser Alice Waters au restaurant en fin de journée et avoir ce sentiment d’être au bon endroit, au bon moment.

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Durer

Renouveler la proposition, alimenter la réflexion, agir sur les décideurs, la petite initiative a ouvert des voies depuis son origine. Et son rayonnement impressionne.
Son travail de recension d’initiatives est remarquable et je me demande chaque fois comment ils réussissent à dénicher ces éleveurs caprins du Cap Vert, ces pomiculteurs ouzbèques, ces rizicultrices du Burkina Faso qui s’accrochent à leur différence. À l’échelle italienne, ils ont facilité les retrouvailles avec la tradition, pour la dépoussiérer.
La démarche a les défauts de ses qualités. Les gestes s’adaptent selon les groupes (qu’on appelle conviviums) pour donner ce qui peut s’apparenter à un méli-mélo d’initiatives et de produits. Mais en y regardant de plus près, la trame est solide et bien nette : lutter contre l’uniformisation, la perte de diversité, l’agro-industrie, les ententes internationales qui nivèlent les pratiques au nom de règles de santé-salubrité dessinées pour les géants. Et répondre en tissant une toile colorée dans toutes les teintes du monde, avec le plus de mains possible. Les mains de celles et ceux qui travaillent la terre, leurs complices, tous ces gens qui ont compris que nourrir, c’est plus que donner à manger.
Slow Food allonge les fils et fait plus qu’unir producteurs et mangeurs en les reliant les uns aux autres pour qu’aux antipodes, une fois revenus dans leurs terres, ils sachent que quelque part des hommes et des femmes se battent, à la même échelle, pour mettre en valeur toutes les saveurs de la Terre.

 

Je m’arrête avant de repartir vers Québec. Il est 14 heures à Montréal. Il y aurait encore tant de choses à dire…

 

 

 


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6 femmes, 6 parcours, un même coeur.

Ça fait une semaine…jour pour jour. À Turin, j’ai eu  le bonheur d’animer le Forum des Femmes de Terra Madre. Deux heures de discussions et d’échanges entre celles qui cultivent la terre et celles qui défendent l’agriculture paysanne, locale, nourricière. Ces six femmes ne s’étaient jamais rencontrées, elles avaient été choisies parmi des milliers de délégués pour témoigner de leur expérience devant un auditorium rempli. J’avais à mes côtés un bel échantillon de la planète, des femmes généreuses, décidées à aider leurs pairs en ouvrant le chemin vers la sécurité alimentaire et l’autonomie. Difficile de résumer et d’animer en même temps! Voici leur portrait et une phrase qui résume une partie de leurs propos, ce jour-là.

Belgica Navea avait voyagé depuis le Chili où elle élève des abeilles et produit du miel en altitude. C’est elle qui a lancé les Marchés de la Terre dans son pays. Elle est venue à l’agriculture grâce à sa détermination. Son père ne voulait pas qu’elle prenne la relève, jugeant son avenir précaire.

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Nous mettons toute notre énergie à produire. Grâce à Slow Food et aux Marchés de la Terre, nous vendons mieux, plus et à meilleur prix. Nos revenus sont stables et le travail des femmes est reconnu.

Helianti Hilman Najib a fondé Javara. Elle  gère cette entreprise sociale qui met en marché 700 produits issus du terroir de l’Indonésie. Son but? Promouvoir la diversité alimentaire, les savoirs indigènes et contribuer au développement rural.

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700 produits, ce sont 700 problèmes! J’ai dû et je dois me montrer ferme et exigeante. Je ne cède rien pour ce qui est de la qualité. Je ne lâche jamais et nous progressons, tout le temps. 

Yablonska Tetyana, néo-fermière, établie depuis bientôt dix ans sur une terre en Ukraine où elle cultive des légumes et gère un élevage de poulets. À l’origine, en 2008, elle voulait mieux nourrir ses enfants.

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Ma grande réussite? C’est de donner du travail à une vingtaine de personnes qui, autrement, seraient restées à la maison sans contact avec la communauté. 

Glenda Abott travaille au sein du projet Wanuskewin Revitalizing Indigenous Agriculture, en Saskatchewan. Elle venait  parler de l’importance de la transmission des savoirs liés aux plantes médicinales et aux aliments traditionnels.

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Nous devons nous réapproprier notre savoir traditionnel. Nous avons nos luttes à mener et nous devons choisir la manière de les mener. 30 000 personnes visitent notre centre chaque année, nous construisons des ponts mais transmettre, c’est plus qu’organiser des ateliers. Il nous faut du temps, il vous faut du temps…

Fayama Massata quittait pour une première fois son Burkina Faso pour venir à Terra Madre. En Afrique, elle cultive légumes et riz. Le riz blanc, qui sert à l’alimentation de tous les jours et le riz rouge, une variété endogène du sud du pays, menacée de disparaître jusqu’à ce que les femmes décident de remettre des sols négligés  en culture. À ses côtés: son interprète Antoine Watara.

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Grâce à notre projet, je peux aujourd’hui acheter du matériel scolaire à mes enfants et leur permettre de rester à l’école. 

Enfin, Agnes Zander Vilaclara, la Catalane. Agnes a repris la  ferme familiale et révolutionné la production: la quantité plus que la qualité, la vente directe sur les marchés, une présence sur le Marché de la Terre de Stiges…une foule d’initiatives menées de front pour que vive l’agriculture locale.

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J’ai  dû m’imposer. Je suis partie à l’étranger en opposition avec mon grand-père. Je suis revenue alors que la ferme péréclitait et j’ai imposé mon idée, pour la survie. Puis, j’ai appris dans ces réunions où je suis souvent la seule femme, à me montrer « désagréable ». À ne pas céder quand je sais que j’ai raison. Il le faut si nous voulons avancer. 

 

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Après ces deux heures, elles ont échangé des cartes, se sont embrassées, plus fières qu’à leur arrivée et convaincues que d’autres partagent leurs valeurs. Moins seules? Sans doute.  Et moi, heureuse d’avoir eu le privilège de les rencontrer, de croiser cette fabuleuse richesse et d’avoir contribué à la mettre en lumière.


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Vinsanto, le Val d’Orcia en verre, sans Sangiovese.

 

imageUne découverte de voyage. Un hasard de village. Nous avons choisi de vivre quelques jours à San Quirico, dans le val d’Orcia, en Toscane. Sienne n’est pas très loin, Rome à 200 kilomètres, le paysage est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Dans les vignes, on commence la récolte du Merlot et du Cabernet-Sauvignon, le Sangiovese n’a pas fini son mûrissement. C’est lui qui dicte ici le rythme de la vinification, le cépage qui donne le caractère des appellations toscanes.

Nous logeons chez les Piva, à l’agritourismo La Moiana. Ce qui qui nous attire au village au lendemain de notre arrivée, c’est le marché. Peu de surprises, ce sont des revendeurs. Les producteurs sont déjà rentrés dans leurs terres, en même temps que la plupart des touristes. En pénétrant à l’intérieur des murs,  une « cantina » pique notre curiosité. On décharge les raisins blancs sur le côté du bâtiment, en hissant les bacs de plastique à l’étage et l’égrappeuse mécanique ne sert pas. Au pays du Sangiovese, pourquoi des raisins blancs?

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Andrea, le propriétaire de l’Azienda Agricola Sempieri-Del Fa’ répond à quelques-unes de nos questions et nous invite à monter. Nous sommes témoins du premier jour du Vinsanto Orcia, qui ne coulera dans les verres qu’en 2021 et qui peut se conserver des décennies.

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Nous entrons sur la pointe des pieds. En silence, les ouvriers déposent les grappes sur les treillis.  Une à une, délicatement. Après, il leur faut passer chaque jour, pendant trois mois, pour retirer les raisins abimés et laisser les grappes au repos un autre mois. Au début 2017, il sera temps de presser le Trebbiano et de le mettre en barrique de châtaigner. Celles qui durent et durent… La plus ancienne, bientôt centenaire, et se trouvait dans cette exploitation, rachetée par le père d’Andrea en 1958. Il vient de prendre la relève. image
Le « vinsanto » débute sur la paille. Dans ces pièces aérées, où l’alternance des températures encore chaudes en journée et plus fraîches la nuit, les sucres se concentrent, les arômes de fruits se raffinent. Puis, selon les règles toscanes, il devra patienter quatre ans dans les barriques alignées au pourtour de la pièce. Quatre années d’anaérobie et l’interdiction formelle d’y mettre le nez. Quatre années au cours desquelles le vigneron se demande s’il est bon, sans pouvoir obtenir de réponse. Ses arômes tiennent à cet enfermement.
Le Vinsanto d’Orcia, c’est un pari sur le temps, une leçon d’histoire.  Ce sont des notes de fruits confits contenues dans un vin rare qui ne s’achète qu’à la propriété et qui n’est que peu distribué à l’extérieur de l’Italie. Un vrai souvenir de voyage. image


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Acquerello, une histoire de rizière « à la Slow Food »

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Turin, c’est la capitale du Piémont italien; cette zone au pied des montagnes qui annonce les montées, les villages accrochés, les vignobles en terrasse. C’est le Pô, l’eau des Alpes et ce sont d’étonnantes productions agricoles.

Il y a deux ans, Nella m’avait proposé une visite de rizière. Chez un producteur dont la réputation n’est plus à faire. Acquerello vend son riz  aux quatre coins du monde. Jusque chez nous. Dans les épiceries fines et les meilleurs restaurants. C’est le carnaroli des grands rizottos. Un grain qui absorbe petit à petit le liquide dans lequel il cuit, sans jamais fondre tout à fait.

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Grâce à elle, j’ai passé une journée à Livorno Ferraris, près de Vercelli. Sous un soleil de plomb. Une journée marquée par la découverte et l’émotion.

Dans l’histoire du domaine Tenuta Colombara se glissent l’ingéniosité humaine, les luttes des ouvriers agricoles, des ouvrières en particulier. Ces « mondine » qui repiquaient, cueillaient, entretenaient les plantations. Courbées sur les plants, dans l’eau jusqu’aux cuisses, du lever au coucher du soleil. Travailleuses saisonnières d’avant la mécanisation, migrant par centaines pour combler les besoins de main d’oeuvre.

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On a conservé un bâtiment qui abritait un de leurs dortoirs. La ferme d’origine est devenue musée, la grande étable où on ramenait les animaux de trait a été écurée et sert aux belles occasions, ces appartements familiaux où on vivait de la naissance à la mort, quand on était artisan ou employé « à l’année » racontent la vie des familles. On dirait que la salle de classe espère ses élèves. Dans la cour intérieure, on imagine facilement les bruits du quotidien…imprégnés dans les murs et les pavés.

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Les « mondine » vivaient en retrait de l’activité. Elles allaient et venaient, de ferme en ferme,  au fil de la récolte pour gagner un peu d’argent. Mères et filles, cousines, voisines de village; « expatriées » saisonnières. Trop souvent victimes d’un employeur ou de son gérant exerçant un droit de cuissage. On raconte qu’on les enfermait dans le bâtiment qui leur était réservé la nuit venue, pour éviter les fugues.

Au début de leurs révoltes, privées de parole pendant les heures de travail, elles ont commencé à chanter pour se raconter. Ces chants vivent encore aujourd’hui. Il y a dix ans, à Terra Madre, la grande rencontre des gens de la Terre regroupés par Slow Food, leurs voix ont envahi la salle lors de l’inauguration officielle de l’événement. Des voix marquées par l’âge et la vie ont repris,  a capella, ces airs des rizières. On dit d’ailleurs que Bella Ciao vient d’elles et que les paroles ont été changées lors de la Seconde Guerre mondiale. Pour demeurer un chant de résistance.

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Quand notre guide a ouvert la porte de leur dortoir,  nous nous sommes tus. Sur leurs petits lits: des robes. Aux murs: des miroirs, des images pieuses, des vêtements tendus sur des cordes, comme si elles allaient rentrer se changer. Sur les meubles d’appoint: des objets de toilette et ces romans-photos qui les faisaient rêver d’amour. Lui, le guide, avait choisi de devenir le conservateur de ce musée unique en parlant d’elles et de cette époque avec mesure et délicatesse. Il avait passé son enfance à la ferme.

Et dehors, ces parcelles où pousse toujours le riz. Séparées les unes des autres par un système d’irrigation qui canalise l’eau de la montagne pour la faire circuler d’une propriété à l’autre. Depuis des siècles, sur quelques centaines de kilomètres on ouvre et ferme les vannes au besoin. On dit de la culture du riz, dans la plaine du Pô, qu’elle remonte au XVe siècle.

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Et si la famille Rondolino a revu la production de fond en comble et compris les règles contemporaines de la mise en marché, jusqu’à devenir cette entreprise mondialement reconnue, son engagement envers la valorisation du patrimoine ajoute à la qualité du riz et prouve, encore une fois, que les « grands aliments » sont beaucoup plus que leur simple saveur. Ils sont aussi savoir-faire et histoire. Encore plus chez les producteurs qui savent les raconter avec autant de finesse.

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À visiter: Acquerello, le Domaine Tenuta Colombara

 

 

 


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Turin et Terra Madre

dscn1354Je pars bientôt. Dans quelques heures, je  m’en retourne à Turin où, depuis quelques années, je croise des gens de la Terre. Ceux d’ici, ceux d’ailleurs. Ils ont en commun de résister à la mondialisation en bataillant pour la diversité et l’alimentation telles que prônées par Slow Food,  cette alimentation «éco-gastronomique» qui met de l’avant trois mots: Bon (pour la qualité), Propre (pour le respect de l’environnement) et Juste (pour la dignité avec laquelle on traite ceux et celles qui nous nourrissent).

En allant là-bas, au fil des ans  j’ai rencontré des agriculteurs qui, sur cette si longue route de la soie, réimplantent des cultures qui ont si longtemps été associées au commerce avant de frôler l’extinction;  une pomicultrice russe, émue de me parler de ce chercheur néo-écossais qui venait à leur rencontre pour découvrir des variétés résistantes au froid; Barbara Abdeni Massaad, qui connaît la culture alimentaire de son Liban natal comme personne; des Samis, de Norvège, qui vivent près de leurs rennes à demi-sauvages (ou à demi-domestiqués?); Bineta la Sénégalaise qui fait revivre le «poulet bicyclette»: celui qui s’agite toute la journée autour des cases pour s’alimenter et qu’il faut réapprendre à manger, pour s’affranchir des importations et de la dépendance qui vient avec. J’y ai vu des gens d’ici aussi, débarqués pour promouvoir le sirop d’érable, la sarriette d’Acadie, le saumon sauvage de la Colombie-Britannique.

J’y serai pour toute la durée de l’événement.  Cinq belles et longues journées. Du 22 au 26 septembre. À redécouvrir Turin  dans ses musées et  ses palais mais surtout dans la rue. Parce qu’en 2016, pour célébrer son dixième anniversaire et sa sixième édition, Terra Madre se déploie partout. Jusque dans ses institutions culturelles. On nous prévient déjà, nous  les journalistes, que les déplacements seront particulièrement exigeants. Slow Food souligne donc ses trente ans d’existence et les vingt ans du Salone del Gusto (une impressionnante foire alimentaire des terroirs ), en revoyant de fond en comble l’organisation de sa manifestation.

Cette année encore, les paysans y viendront par milliers, en provenance de 150 pays. Pour prôner la diversité et  faire preuve de leur détermination à résister. À bientôt!dscn1965

 

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Les caveaux de la côte

Il me semble que ce billet s’inscrit dans la foulée du livre de Jean-Pierre Hardy (Creuse la terre, creuse le temps) et de l’article de blogue précédent. On est cette fois au XIXe siècle. Près de Québec, sur l’étroite bande de terre arable où, deux siècles plus tôt, s’établissaient des familles pionnières pour cultiver la terre. Familles «essoucheuses», bataillant fort pour la survie. Comme il fallait prévoir les provisions d’hiver, on a imaginé ces caveaux à légumes dont certains sont encore bien visibles. Les portes font face au sud, la terre et la végétation qui couvrent les toits créent l’isolant, si bien que la récolte et quelques provisions étaient protégées du gel.

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Dimanche, j’ai roulé de Québec à Beaupré, à vélo. Les soleil tapait fort et sa lumière blanchissait les couleurs. Au retour, dans la chaleur de ce jour de septembre qui jouait à juillet, j’ai croisé une dame qui traversait la route pour aller chercher son mari, fort affairé dans la grange. C’était l’heure du dîner. Sur la côte, dans les villages de L’Ange-Gardien et Château-Richer, le Chemin du Roy oblige les aller-retours entre la maison et les bâtiments.

 

Elle m’a permis de visiter son caveau.  Expliqué que la table servait à l’entreposage des navets. Trop sensibles, l’humidité du sol les fait pourrir rapidement. Et puis, elle a ajouté cette leçon d’aménagement du territoire: « Nous continuons d’entretenir la terre, de faucher la prairie. Si on laisse aller, la forêt va gagner la partie. Nos ancêtres ont trop travaillé pour qu’on abandonne ». Une réflexion qui s’applique partout. Le paysage fait aussi partie de notre patrimoine. Comme ces bâtiments discrets que sont les caveaux.

 

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Creuse la terre…

IMG_4752Jardins et jardiniers laurentiens 1660-1800

Creuse la terre, creuse le temps

Un ami a déposé ce livre, discrètement, avant de quitter la maison à la fin d’une soirée. J’avais vu passer l’ouvrage de Jean-Pierre Hardy au travail sans prendre le temps de le regarder. Ce printemps 2016 était bien chargé, il faut le reconnaître.

Je l’ai glissé dans mes bagages en partant en vacances. Sans trop savoir si c’est le roman d’Eleanor Catton, Les Luminaires (Alto) allait l’emporter. J’ai lu les deux; rapidement terminé Jardins et jardiniers laurentiens alors que l’intrigue néo-zélandaise m’occupe encore. Deux genres. Deux mondes. J’en conviens.

Qui est Jean-Pierre Hardy? Historien et chercheur associé au Musée canadien de l’histoire, qui a fait preuve de patience et de sagesse en amassant des données qui allaient permettre de documenter la place du jardin domestique dans la vallée du Saint-Laurent. En particulier les jardins urbains de Québec et Montréal pour lesquels il disposait de «sources» fiables (registres, cartes etc.). Un homme qui, en avant-propos, explique qu’il envisageait la retraite «avec un brin d’inquiétude» en reconnaissant que cette partie de notre histoire avait peu retenu l’attention. Un auteur qui mentionne que l’héritage familial a probablement à voir avec cet intérêt, son père ayant entretenu un potager jusqu’à l’âge plus que vénérable de 95 ans. Ce qui nous procure une lecture éclairée et éclairante au plan des connaissances historiques autant que maraîchères. Un auteur qui sait ce que représente se mettre les mains dans la terre!

«Dans toute la colonie et à plus forte raison dans un pays où la végétation se repose une bonne moitié de l’année, l’alimentation est une préoccupation constante. L’apport d’un potager devient donc une nécessité chez bon nombre de citadins et chez presque tous les habitants.»

IMG_4784Si le potager est une nécessité, un passage obligé pour assurer sa survie et celle de sa famille, il n’est pas si simple de se faire jardinier; vous le savez si vous avez tenté l’expérience. Plus difficile encore d’y arriver quand il n’y a ni marché fermier, ni fournisseur à proximité pour vous approvisionner quand la récolte devient catastrophe. On n’a pas de mal à imaginer les disettes. Et pour qu’on saisisse bien ce qu’il faut de compétences, Hardy a la sagesse de remonter en Europe pour s’intéresser à la formation. Là où les maraîchers londoniens sont incorporés dès le XVIIe siècle et les jardiniers des monastères cumulent les tâches. Il nous apprend que ce n’est qu’à la moitié du XVIIIe siècle que les jardiniers professionnels Parisiens vont s’incorporer.

Mais, en parallèle, l’intérêt pour les espèces légumières et fruitières grandit; les naturalistes font voyager «nos» espèces indigènes pour les acclimater et les cultiver dans les jardins royaux. Dans cette logique d’aller-retours, une partie de ce savoir voyagera jusqu’ici alors que bon nombre de plantes, de graines seront chargées à bord des bateaux pour nourrir la curiosité scientifique et la gourmandise des bourgeois.

Jardins du gouverneur, de l’intendant, des communautés religieuses vont façonner le paysage de la ville de Québec. Idem à Montréal où s’ajoutent les potagers des particuliers (les habitants de Québec cultivent et s’approvisionnent hors les murs). Le jardin est lieu de production de plantes ornementales, médicinales, d’aliments et sert au recueillement. Chez les hospitalières, il nourrit les malades.

Je fais ici une parenthèse pour souligner le fait que quelques-uns de ces potagers ont survécu au temps, jusqu’à ce que l’urbanisation, des changements au zonage n’aient raison de l’histoire comme à Québec avec la ferme SMA. J’allonge la parenthèse pour préciser que quelques communautés soutiennent toujours des projets agricoles. Je pense en particulier à la communauté des sœurs de Notre-Dame-du-Bon-Conseil qui appuie un projet d’économie sociale : les fermes Solidar, dans le rang Saint-Joseph à Chicoutimi. http://www.lesfermessolidar.com/

Jean-Pierre Hardy remonte le temps; reproduit des tableaux qui illustrent les revenus des ventes et facilite la compréhension de tout ce travail investi pour l’aménagement et l’entretien des potagers. Plus que tout, sa démonstration prouve, hors de tout doute, qu’on consommait plus de légumes et de fruits que ce qu’on le croit généralement; que la diversité était présente et que si les saisons ont permis d’écarter des espèces gourmandes de chaleurs, les légumes qui profitent bien lors des journées fraîches ont prospéré. Choux, ois de toutes sortes, fèves, maïs, , céleri, salade, ail, oignon, poireau…toutes ces herbes à consommer fraîches et à saler…la liste est longue.

Son travail démontre que ce climat que plusieurs s’empressent de qualifier de nordique avant d’enchaîner au sujet de ses limites quasi infranchissables a ses avantages et qu’il offre aux audacieux des défis et délices. En tout cas à qui sait creuser la terre pour y semer quelques graines de possible.

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Un carré d’asperges, obtenu par contrat, permettait au jardinier de tirer un revenu supplémentaire.

Jardins et jardiniers laurentiens 1660-1800 Creuse la terre, creuse le temps.

Jean-Pierre Hardy, Éditions du Septentrion.

http://www.septentrion.qc.ca/

 

 


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Un marché jaune soleil

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Ce petit marché de la Nouvelle-Angleterre en  serait à sa 248e année d’existence.  Il aurait vu le jour sur une base permanente après une courte période au cours de laquelle les marchands ambulants ont écoulé bleuets, coquillages et homards aux portes des maisons.

Après pas mal d’errance, on le trouve aujourd’hui tout près du centre-ville de Portland. Le Portland de l’état du Maine. Cette ville  qui se taille une belle réputation gourmande depuis quelques années. Grâce à ses restaurants, ses bars, ses commerces alimentaires de toutes sortes.

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Les samedis d’été, on peut s’arrêter au parc Deering Oaks où, entre 7 et 13 heures, sont montés une trentaine d’étals; le temps qu’il faut pour écouler la récolte des maraîchers, cidriculteurs, éleveurs et fromagers du coin. Un autre rendez-vous est fixé le mercredi.

IMG_4951Ce «Farmers Market» a tout du petit marché américain «classique». Il est  bordé par quelques tables d’artisans, les résidents de la place font leurs courses en même temps qu’ils viennent aux nouvelles. Tout le monde semble se connaître. On y trouve pas mal de producteurs bio, des relents de l’époque «grano», rien ne presse.  Les chiens des clients comme ceux des vendeurs ne gênent personne.  C’est ce genre de petit marché qui permet de prendre le pouls de cette production agricole qui s’inscrit à la marge des grands courants et qui fait une belle place à la variété et à la diversité. Un petit marché qui, s’il ne mérite pas le voyage, vaut tout de même le détour quand on passe dans le coin.

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Curieusement, ce jour-là, il m’a semblé que tout était jaune…poivrons, courgettes, concombres, tomates, maïs etc. Je me suis donc concentrée sur cette couleur…à moins que, 4 heures après l’ouverture, ne restaient que les légumes jaunes? Il faudrait étudier la question. En attendant, voici quelques images de ce samedi «jaune soleil».

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Saveurs de vacances

IMG_4742Nous venons de renouer avec les plaisirs du camping. Les étés passés, drôlement chargés, nous en avaient privés. Quel bonheur! Qui nous a fait nous demander pourquoi s’en être privés aussi longtemps…Bien sûr, il faisait beau. Et chaud. De jour comme de nuit.

Mais au-delà du temps qu’il fait, il y a  ces repères à prendre rapidement; cette nature omniprésente; ce partage quasi intime avec des étrangers avec lesquels vous avez finalement beaucoup en commun. Des vacances quoi!

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J’ai aussi retrouvé  les «classiques» du Maine. Offerts partout, dans les «shacks» du cœur des villages autant que  sur les quais où vous regardez rentrer les pêcheurs en attendant votre repas.  Le homard à carapace molle cuit à la perfection et sa douceur subtile qui rappelle le crabe; les «lobsters rolls» qui rivalisent  les uns avec les autres quant à la quantité de chair qu’ils contiennent; les chaudrées qui vous requinquent après la journée; toutes ces palourdes qui mériteraient plus que ce traitement à la friture. Et ces  bleuets sauvages partout: sur les étals des marchés et supermarchés, intégrés aux tartes et pâtisseries de toutes sortes, aux bières de microbrasserie et aux cocktails.

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Comme à l’habitude, j’ai cherché et visité tous les marchés fermiers possibles dont celui de la ferme Beech Hill, sur Mount Desert Island. Une ferme-école vouée à l’agriculture biologique. Les portes des réfrigérateurs et congélateurs chargés de viandes locales, de fromages de bufflone, de yogourts de brebis ou de chèvre, de boissons de toutes sortes s’ouvraient et se fermaient au rythme du passage des visiteurs. Un même mouvement, un même élan vers une nourriture moins transformée, privilégiant le rapport direct avec l’éleveur comme le maraîcher. Aujourd’hui, il est devenu facile d’acheter localement, presque partout. Et de faire des découvertes!

Nous nous sommes même amusés à une dégustation de concombres trouvés au marché de Portland. Le «Poona Kheera», à la pelure jaune et épaisse qu’il faut retirer. Qui m’a semblé  contenir moins d’eau que les variétés traditionnelles, anglaises ou libanaises. Et cet autre petit concombre, qui serait originaire des Indes occidentales. Une merveille à dénicher pour le planter l’été prochain. IMG_5006IMG_5001

 

 

 

 

 

 

Et une fois que vous rentrez chez vous,  sous l’abri de cuisine, vous n’avez qu’à transformer vos aliments. En prenant le temps puisque c’est ce que vous avez de mieux à faire.

Le grand air aurait-il pour propriété de magnifier les saveurs? C’est ce que je pense. La bicyclette, comme la randonnée creusent l’appétit. Le reste relève du bien-être que l’on éprouve à vivre dehors et du talent de votre amoureux à servir un de ses meilleurs risottos!

 

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