petits périples

Hélène Raymond

Slow Food/Terra Madre ou comment tisser des fils tout autour de la Terre

2 commentaires

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Le moment du bilan. Il est  4 heures 30 à Turin. Arrivée avant les militaires qui surveillent tout mouvement suspect dans l’aéroport, j’ai du temps, espérant pouvoir me concentrer malgré cette musique d’ambiance venue de partout et de nulle part qui brise le silence de la nuit. Je continuerai d’écrire au fil des escales de cette longue journée.

Pourquoi être revenue vers cette manifestation? Pourquoi, depuis 2006, retrouver le Piémont et observer cette migration de cinq jours qui a autant d’impact pour ces milliers de délégués qui retournent à leur point d’origine à la fin?

À ma première visite, je suivais Petrini et Slow Food depuis un bon moment. Grâce à D’un soleil à l’autre, nous avions pu nous entretenir avec lui à quelques reprises. Cette résistance au « Fast food » marquait l’imaginaire; sa formidable capacité de mobiliser autour d’un discours rassembleur distinguait déjà son organisation, tout comme ce sens aigu de la communication et de l’image.

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Mais Slow Food poussait plus loin en ramenant les paysans, les petits, les oubliés du grand système au coeur de ses actions. En clamant ces trois mots, toujours actuels: BON, PROPRE, JUSTE pour rappeler l’importance de la qualité, le respect de l’environnement et l’équité.

imageÀ Terra Madre, ces gens gagnent de l’assurance. Leurs gestes prennent enfin toute l’importance qu’ils méritent. Ils sont beaux.

Et ils font plus que protéger une variété végétale, une race abandonnée au profit du profit, ils se mettent à en raconter l’histoire pour mettre en lumière ceux et celles qui continuent de leur donner vie au quotidien, en la vivant en marge des modes.

C’est une des forces de Terra Madre : avoir su se mettre à l’abri de cette « tendance foodie ». Les aliments raffinés  se concentrent dans les allées du Salone del Gusto, la manifestation commerciale qui se déroule en parallèle et qui attire des milliers de clients qui repartent chargés de victuailles. Les kiosques consacrés aux délégations venues du monde entier (Terra Madre) sont tout aussi courus. On y fait moins de provisions mais on multiplie les trouvailles: raisins afghans, morue norvégienne, fromages au lait cru irlandais… Dans les allées marchandes : le meilleur de l’Italie. Dans les allées parlantes : des kiosques nationaux animés par celles et ceux  qui, mandatés par leur organisation, viennent rencontrer leur pairs.

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Cette édition 2016 s’est déployée au coeur de Turin. La ville a ouvert ses palais, ses châteaux, ses rues. Imaginez-nous envahir Québec,  du Bois de Coulonge à la Terrasse Dufferin, en passant par les Plaines d’Abraham, la cour du Séminaire, le parc Cavalier du Moulin pour aller à pied, d’un endroit à un autre vivre des expériences nourrissantes et inspirantes.

Et puisqu’il est question d’inspiration, quelques pistes.

 

Accueillir

Loger milliers de délégués (environ 7 000) représente une logistique exceptionnelle. Une cafétéria leur est réservée sur le site. 60 communes du Piémont se mobilisent pour les héberger dans les familles. Ils dorment « chez l’habitant » et sont transportés, matin et soir. Pour Slow Food, c’est aussi une façon d’ouvrir la région aux réalités du monde.

Nourrir

Terra Madre a installé cette année des « cuisines du monde » au travers de ses kiosques. Chaque continent avait la sienne où se succédaient des chefs qui, chaque jour, venaient proposer un plat représentant leur pays. Une brigade métissée en cuisine, pas de stars de la gastronomie aux commandes , plutôt des gens associés au mouvement dont plusieurs femmes, qui agissent au quotidien sur leur territoire.

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Inclure

L’idée de faire se côtoyer producteurs et co-producteurs (Slow Food ne parle jamais de consommateurs) est un des ancrages de Slow Food. Une même démarche, des valeurs communes, la mise en valeur de la diversité. Lors de son allocution d’ouverture, Carlo Petrini a fortement suggéré aux jeunes de prendre leur place (ils sont nombreux), à condition de protéger l’espace de ceux qui les ont précédés et de savoir tirer des leçons de l’expérience.

Penser

Aux forums destinés aux délégués pour qu’ils puissent entendre des histoires du bout du monde qui s’apparentent à leur propre expérience, Terra Madre suggère également des entretiens plus formels. Cette année, dans le magnifique Teatro Carignano, se sont succédées des sommités pour animer cet espace magnifique dans leur langue d’origine, rendue compréhensible grâce aux interprètes.
C’est ainsi que j’ai pu saluer José Bové et Michel Bras le matin, entrevoir Yann Arthus-Bertrand un peu plus tard et croiser Alice Waters au restaurant en fin de journée et avoir ce sentiment d’être au bon endroit, au bon moment.

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Durer

Renouveler la proposition, alimenter la réflexion, agir sur les décideurs, la petite initiative a ouvert des voies depuis son origine. Et son rayonnement impressionne.
Son travail de recension d’initiatives est remarquable et je me demande chaque fois comment ils réussissent à dénicher ces éleveurs caprins du Cap Vert, ces pomiculteurs ouzbèques, ces rizicultrices du Burkina Faso qui s’accrochent à leur différence. À l’échelle italienne, ils ont facilité les retrouvailles avec la tradition, pour la dépoussiérer.
La démarche a les défauts de ses qualités. Les gestes s’adaptent selon les groupes (qu’on appelle conviviums) pour donner ce qui peut s’apparenter à un méli-mélo d’initiatives et de produits. Mais en y regardant de plus près, la trame est solide et bien nette : lutter contre l’uniformisation, la perte de diversité, l’agro-industrie, les ententes internationales qui nivèlent les pratiques au nom de règles de santé-salubrité dessinées pour les géants. Et répondre en tissant une toile colorée dans toutes les teintes du monde, avec le plus de mains possible. Les mains de celles et ceux qui travaillent la terre, leurs complices, tous ces gens qui ont compris que nourrir, c’est plus que donner à manger.
Slow Food allonge les fils et fait plus qu’unir producteurs et mangeurs en les reliant les uns aux autres pour qu’aux antipodes, une fois revenus dans leurs terres, ils sachent que quelque part des hommes et des femmes se battent, à la même échelle, pour mettre en valeur toutes les saveurs de la Terre.

 

Je m’arrête avant de repartir vers Québec. Il est 14 heures à Montréal. Il y aurait encore tant de choses à dire…

 

 

 

2 avis sur « Slow Food/Terra Madre ou comment tisser des fils tout autour de la Terre »

  1. Merci Helene pour ce conte- rendu des evenements a Turin du 7ieme edition de Terra Madre, et tout tes beaux projets. J’ai participer comme delegue en 2004 lors du premier et prenais place au Salon du Gout avec notre ble/pain Red Fife donc est reconnu par la distinction de Presidium. Je retiens toujours de vifs souvenirs de mon temps la et espere encore y retourner. Cependant, nous avons reussi de demarrer le convivium de Saskatoon et dont j’etais un des principaux organisateurs. J’ai eu le plaisir en Sept d’avoir l’equipe de la Semaine Verte ici pour filmer et ton nom est entrer dans nos discussions. Avant ca, c’etait des entrevues en video pour la nouvelle serie de TVO, Garde Manger… tres bien reussi.

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    • Bonjour Marc, je suis heureuse d’avoir de tes nouvelles. C’est impressionnant de voir le chemin parcouru par le Red Fife! Dans quelques jours je mettrai en ligne un portrait gourmand de Bologne. J’y ai trouvé une belle boulangerie où on travaille avec des céréaliers à remettre des variétés anciennes en culture. Je continue à raconter toutes ces histoires formidables qui redonnent un sens aux territoires. À bientôt!

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