Ces jours-ci, ceux qui les cultivent pour leur consommation personnelle et qui s’amusent à découvrir sans cesse de nouvelles variétés ont le nez dans les catalogues et s’apprêtent à réserver leur provision de semences.
Ceux qui aiment s’en régaler se réjouissent de les voir un peu mieux identifiées sur les étals et de constater qu’elles retrouvent leur place. Mais ils reconnaissent aussi qu’on pourrait en manger davantage et surtout, varier considérablement notre façon de les apprêter. Parce que la patate, c’est beaucoup plus que des frites! Même si la poutine semble devenue notre plat national.
Dans toutes les cuisines
Dans le Jehane Benoît, dans la Cuisine raisonnée, dans la Cuisinière de Boston, la pomme de terre se résume à l’accompagnement. C’est l’incontournable purée du roastbeef ou celle qui chapeaute le pâté chinois; ce sont les pommes de terre du ragoût; celles des salades enrobées de mayonnaise.
Dans Plenty, Yotam Ottolenghi (qui m’accompagne toujours en cuisine), a imaginé une tatin de pommes de terre. Nigel Slater, un Anglais qui développe ses recettes à partir des arrivages locaux et de ses propres récoltes, raconte que Marie-Antoinette glissait des fleurs de pommes de terre dans sa chevelure parce qu’elle les trouvait belles (et c’est vrai qu’elles sont d’une remarquable délicatesse!). Dans son ouvrage, Véronique Leduc mentionne la beauté des champs au moment de la floraison.
Les Italiens en font beaucoup plus que des gnocchis di patati! Au pays des pâtes, les recettes de patati sont multiples. Je sers, quelques fois par année, la «foccacia alla pugliese», de Naomi Duguid, dans son livre Flatbreads&Flavors. La purée de pomme de terre, faite au mélangeur, densifie la pâte tricolore. Les Sud-Américains consomment des quantités impressionnantes de papas et en cultivent toujours une joyeuse variété (après tout, c’est de là qu’elles proviennent). Je teste bientôt une recette de pain aux pommes de terre, tirée d’un des livres de cuisine végétarienne de Deborah Madison. On peut dire du champvallon de Josée di Stasio qu’il est devenu, pour plusieurs, un classique hivernal. Quel plat réconfortant!
Lire sur la patate m’a donné envie d’en manger!
«Nos patates», au cœur d’un bel ouvrage
La journaliste culinaire Véronique Leduc publiait, fin 2016, Épatante patate, en collaboration avec le photographe Fabrice Gaëtan. L’ouvrage est publié à l’occasion du 50e anniversaire du regroupement des producteurs de pommes de terre du Québec. Illustré, appétissant, le livre raconte avec rigueur et fantaisie la place que prend la pomme de terre dans l’agriculture québécoise et dans nos assiettes grâce, entre autres, à divers témoignages d’agriculteurs.
Sa grande qualité est de redonner à la patate la place qu’elle mérite. Reine des cantines, sans aucun doute, mais aussi de plusieurs plats qui marquent notre histoire alimentaire. Une production maraîchère qui regroupe plus de 250 entreprises agricoles, des transformateurs, des distributeurs et un grand nombre de cantiniers et de chefs. Et elle nous est offerte à longueur d’année : «…la pomme de terre nous ramène à l’ordre, et qu’elle se présente dans notre assiette en robe de chambre, en purée ou en poutine, elle raconte notre histoire. Elle dit la colonisation, les influences anglaises et les vagues d’immigration qui colorent désormais notre culture, elle rappelle nos légendes et nos premiers livres de cuisine et fait référence à de vastes pans de notre art populaire », écrit Véronique Leduc dans son hommage final.
Alors qu’elles recommencent à germer, montrant qu’elles ont leur propre horloge biologique et que le printemps s’en vient, elles peuvent encore mettre un peu de réconfort dans plusieurs plats d’hiver. Il est grand temps d’en manger! Avant de se régaler de salades de pommes de terre nouvelles, une fois l’été bien engagé.
Épatante Patate me ramène à un livre pour enfant : Roger, le Roi de la patate (Rogé, Dominique et compagnie), pour le lire à « mon Léo» via Facetime (nous avons chacun notre exemplaire) ; me rappelle d’assaisonner d’un peu de sarriette la prochaine purée, pour me souvenir de celle que faisaient mes tantes. Ces histoires de cantines me replongent dans mes étés d’enfance pour revoir cette dame qui, dans une minuscule roulotte, cuisait ses frites qui nous régalaient au chalet de Rivière-Ouelle. Je revois Françoise Kayler, alors que nous étions ensemble au Témiscamingue, chez un grand producteur, discuter avec lui de l’importance de bien identifier les variétés. De les nommer autrement que par la couleur.
Dans ma mémoire récente, d’autres images: ce plat de pommes de terre fumantes, déposées sur un lit de foin qui brûle, offert dans le menu d’hiver de Mousso, à Montréal. Les immenses sacs de papas du marché Polequemao, à Bogota, en Colombie ou l’étal de Mme Papin, dans un petit marché de Buenos Aires.
Merci de lui avoir redonné son histoire et d’avoir dépeint ce qu’elle est ici. Un aliment identitaire dont la consommation s’est transformée au fil de l’apparition des diètes à la mode et changements survenus dans notre alimentation et qui mérite qu’on s’y intéresse davantage. Dans les champs comme dans les assiettes.
Épatante Patate, Éloge de la pomme de terre, est publié aux Éditions Parfum d’encre
Flatbread&Flavors, de Naomi Duguid, chez William Morrow
Et la recette de Yotam Ottolenghi tarte tatin à la pomme de terre